Ce récit est tiré presque mot pour mot d’un cahier manuscrit dans lequel ma mère, Myriam Butler, a écrit tous ses souvenirs de la guerre.
Alors âgée de 10 ans, elle était à St Martin de mars à septembre à mars 1943 avec ses parents, Simon et Hélène Butler, et son oncle et sa tante Israël (Jacques) et Ernestine Butler.
Il se trouve que mon père, Maurice Kern, était également à St Martin avec son père, ses frères et sa sœur (sa mère venait de mourir de maladie à Nice).
Michel Kern
À St Martin, la vie a vite pris le dessus. Nous avons loué une jolie maison. Un comité de quelques 10 à 12 juifs a prévu une petite synagogue avec un rabbin. Comme nous n’allions pas à l’école du village, tous les matins nous avions un cours de Talmud Torah. L’après-midi, les EIF organisaient des activités. J’étais dans le groupe des « Petites Ailes ».
Matin et soir les personnes assignées à résidence, comme Papa, Oncle Jacques et les Kern, devaient aller se présenter à la « Commandatura » pour répondre à l’appel.
[Après l’armistice du 9 septembre 1943…]
Les Italiens ont dû quitter le midi de la France, les Allemands envahissant tout le midi à leur place.
Les soldats Italiens nous ont dit que nous ferions mieux de les suivre dans la montagne plutôt que d’attendre les Allemands. Ce qui fait que la plupart des environ 1000 personnes de St Martin, sont partis dans la montagne en un véritable exode. Papa avait réussi à louer deux muletiers et leurs mulets ce qui fait que nous avons pu mettre les sacs sur les bêtes et je me suis tenue à califourchon sur une mule. Mais la plupart des gens allaient à pied.
Nous nous sommes enfoncés dans la montagne, par des petits chemins. Le premier soir nous avons dormi dans une bergerie au Boréon. Le lendemain, en passant le col de Notre Dame des Fenêtres, nous avons dormi dans une sorte de foret.
[…] Nous sommes arrivés à San Giacomo où les muletiers nous ont quittés. Mes parents m’ont laissé dormir chez des sœurs, dans un couvent, dans un vrai lit ! ce qui m’a semblé le luxe après deux nuits passées sur la paille. Le lendemain nous avons marché jusqu’au village d’Entraque, où nous avons trouvé une chambre où dormir tous les cinq chez des paysans.
[…] Après une semaine, une patrouille Allemande est arrivée. Ce qui restait du groupe (les Kern avaient continué de marcher) a été transporté à la caserne de Borgo San Dalmazzo, où le commandant allemand a demandé : « les juifs à droite, les non-juifs à gauche ». Mon Papa et mon Oncle avaient de faux certificats de baptême donnés par un pope russe, et se sont donc mis à gauche. […] Le soir les allemands ont dit que les non-juifs pouvaient aller dormir en ville, que nous devions revenir le lendemain matin, et qu’ils gardaient les papiers.
[…] Inutile de dire que le lendemain matin avant l’aube nous sommes partis, et nous avons pris le premier train en partance, un train de marchandise pour Cuneo.
Myriam Butler
[Par la suite, la famille Butler est passée par Gènes, puis Florence, où ils ont même pu aller à la synagogue pour le premier soir de Rosh-Hashana ! Ils sont finalement descendus jusqu’à Rome, où ils sont restés cachés jusqu’à la fin de la guerre. La famille de mon père a également rejoint Rome par un autre chemin.]