En 1940, ma mère Margit Reich, âgée de 20 ans, est devenue une réfugiée lorsqu’elle a fui Anvers avec sa cousine aînée, Suri Schonbrunn. Ils ont été en fuite pendant trois ans avant d’atteindre Saint-Martin-Vésubie. La famille Schonbrunn se compose alors de Suri, de son mari Yossel et de trois jeunes enfants âgés de 1, 4 et 5 ans.
Pendant l’été 1943, les Juifs de Saint-Martin-Vésubie ont vécu en « Résidence Forcée ». Ils n’étaient pas autorisés à quitter la ville et devaient se présenter deux fois par jour aux autorités italiennes. Maman connaissait le français mais pas l’italien. Pourtant, jusqu’à la fin de ses jours, elle se souviendra de son numéro italien. Deux fois par jour, elle se présente comme duecentoquattro (204). C’est tout ce qu’ils voulaient entendre d’elle ; son nom ne les intéressait pas.
Lorsque l’heure de la fuite a sonné, maman et son cousin ont rejoint les autres dans l’ascension du col de Fenestre. Elle se souvient d’avoir levé les yeux pour voir la longue file de personnes qui suivaient le chemin en lacets. Sa cousine a apporté deux poussettes pour les deux plus jeunes. Au fur et à mesure qu’ils montaient, cela devenait impossible et les poussettes ont dû être abandonnées sur le bord du chemin.
Suri a utilisé une écharpe pour supporter le poids du bébé. Les garçons de 4 et 5 ans étaient trop lourds pour être portés longtemps. Ma mère a fait de son mieux pour les encourager à marcher. Pour les motiver, elle leur montrait un point devant eux et leur disait que s’ils pouvaient seulement aller jusqu’à ce point, un camion arriverait pour les transporter jusqu’à la fin du chemin. Apparemment, on leur avait bien promis un camion, mais maman n’y croyait pas vraiment.
Ils avaient faim, et lorsqu’ils sont passés devant un verger de pommiers, ils ont mangé plus qu’ils n’auraient dû. Les pommes n’étaient peut-être pas assez mûres. Maman se souvient d’avoir mangé jusqu’à ce que sa bouche se plisse.
Elle se souvient qu’ils ont passé trois jours et deux nuits dans ces montagnes. Ils étendaient des couvertures pour que les enfants puissent dormir la nuit. Maman et Suri se sont relayées pour surveiller les enfants afin qu’ils ne soient pas piétinés par les vaches. Il faisait frais la nuit, mais il n’y avait pas assez de couvertures pour les adultes. Pendant que l’un montait la garde, l’autre se réchauffait auprès d’un feu allumé par un groupe de jeunes. Ils ont chanté des chansons telles que Arum dem Fayer. Je ne peux m’empêcher de me demander combien de jeunes gens autour de ce feu ont survécu à la Shoah.
– Elaine McKee
Les paroles d’Arum dem fayer :
Autour du feu de camp Nous chantons des chansons La nuit est douce Nous ne nous fatiguons pas Et si ce feu S’éteint Les cieux brillent Avec leurs étoiles Couronnez nos têtes Avec des guirlandes de fleurs Autour du feu Nous dansons joyeusement Depuis la danse et les chansons Sont notre vie Et puis dans le sommeil Les rêves glisseront. | Arum dem fayer Les enfants sont les seuls à pouvoir s’exprimer Di nakht iz tayer Hommes vert nit mider Un zol dos fayer Farloshn vern, Shaynt oyf der himl Mit zayne shtern To kroynt di kep Avec des bandes bleues Arum dem fayer Mir freylekh tantsn Vayl tants un lider Iz undzer lebn, Dernokh in shlof Khaloymes shvebn. | אַרום דעם פֿײַער, מיר זינגען לידער, די נאַכט איז טײַער, מען ווערט ניט מידער און זאָל דאָס פֿײַער פֿאַרלאָשן ווערן, שײַנט אױף דער הימל, מיט זײַנע שטערן. טאָ קרױנט די קעפּ מיט בלומען-קראַנצן , אַרום דעם פֿײַער, מיר פֿרײלעך טאַנצן. װײַל טאַנץ און לידער איז אונדזער לעבן, דערנאָך אין שלאָף חלומות שוועבן. |