La version intégrale de ce texte de Joëlle Hansel est parue en français sous le titre « Una targa per ricordare otto vittime del nazifascismo » (« Une plaque pour commémorer huit victimes du nazi-fascisme » dans « Rendiconti Cuneo 2019 », édité par S. Chiavero, D. Damiano, R. Martelli, Cuneo, éditions Nerosubianco, 2019, p. 198 à 201.
Le 26 avril 1945, à Cuneo (Italie), sous la cinquième arche du viaduc de Valdieri, Herman Armand Moïse Herz Epelbaum, notre grand-père, Bernard Futtermann, son beau-frère, et Marcel Futtermann, son neveu âgé à peine de dix-sept ans, furent assassinés par les nazis. Ainsi se terminait tragiquement un périple qui avait commencé en 1940 lorsqu’ils avaient fui, avec leur famille, Paris occupé par les Allemands.
Léa, notre grand-mère, et Lucien, notre père, nous avaient parlé des étapes de ce périple. Ils avaient d’abord quitté Paris pour Nice où ils avaient vécu dans une relative tranquillité jusqu’à ce que les Allemands s’emparent de la ville. Ils avaient alors traversé les Alpes pour se réfugier dans un village du nord de l’Italie. Leur cachette avait été découverte à cause de jeunes italiennes avec lesquelles Marcel avait sympathisé et qui les avaient dénoncés aux Allemands. Au moment où notre grand-père avait été arrêté, notre père avait été sauvé, in extremis, parce qu’il n’avait que 14 ans. S’ils épargnaient les femmes, les assassins passaient par les armes tous les hommes âgés de plus de 16 ans.
Le récit de notre grand-mère et de notre père laissait subsister des zones d’ombre. A quel moment avaient-ils quitté Nice pour Saint-Martin Vésubie ? Pourquoi n’avaient-ils jamais mentionné leur séjour dans ce village où les Juifs jouirent de quelques mois de tranquillité, et où les enfants et adolescents de l’âge de notre père avaient eu tant de bon temps ? Par où étaient-ils donc passés lors de leur traversée des Alpes ?
Après la mort de notre grand-mère, en 1984, nous avons trouvé dans ses papiers l’acte de décès de notre grand-père établi par la mairie de Cuneo après son exécution. Sa domiciliation à Saint-Martin Vésubie y figurait. En 2016, Danielle Baudot Laksine qui a accompli un si important travail sur les Justes de Saint-Martin Vésubie nous a envoyé la liste des clients de l’épicier du village sur laquelle figurent les noms de Bernard, Sonia et Marcel Futtermann.
Notre famille avait donc bien résidé à Saint-Martin Vésubie. Elle avait suivi le même itinéraire que celui des centaines de Juifs qui avaient fui Saint-Martin le 9 septembre 1943, avec l’armée italienne qui faisait retraite devant les Allemands.
En septembre 2019, nous nous sommes rendus, mes frères et sœurs et moi, à Saint-Martin Vésubie où nous avons rencontré David Bernheim. De l’autre côté des Alpes, nos amis italiens nous ont entraînés sur les traces de notre famille : le col par lequel ils passèrent du côté italien et furent accueillis par les partisans italiens ; le hameau de Cornaletto où ils se sont cachés ; la localité de Demonte où Marcel fut dénoncé ; la prison de Cuneo où Marcel, son père et notre grand-père furent enfermés après leur arrestation, le 12 avril 1945. Enfin, le viaduc de Valdieri où ils furent assassinés avec trois autres Juifs – Hugo Korbel, Siegfried Schwartz et Georges Joseph – et deux partisans italiens.
Notre périple s’est achevé avec la pose de la plaque qui porte leur nom, à Cuneo, le 19 septembre 2019, lors d’une cérémonie à laquelle participèrent les autorités civiles et militaires de la ville. Y prirent la parole, notamment, Francesco Revelli di Peveragno, ancien vice-président de la province de Cuneo.
Grâce à Léa, notre grand-mère, et à Lucien, notre père, aujourd’hui décédés, grâce à Julie, notre mère, le souvenir de notre grand-père restera à jamais gravé dans nos cœurs.
Nous, les cinq frères et sœurs, vivons aujourd’hui en Israël, avec notre maman. Nous participons à la vie de l’Etat juif dont notre grand-père, les cinq Juifs qui sont morts avec lui, et les millions de Juifs exterminés par les nazis n’ont pas eu la chance de voir le jour.
Nos parents ont eu 5 enfants : Daniel Moshe Herz qui porte le nom hébraïque de notre grand-père, Muriel, Liliane, Alain et moi-même.
Ils ont 17 petits-enfants et 15 arrière-petits enfants. Nous leur transmettrons le souvenir de notre grand-père qu’ils transmettront à leur tour aux générations futures afin qu’il ne soit jamais oublié.
לזכר סבנו משה הרץ אפלבאום
Bernard et Marcel Futermann
Georges Joseph, Hugo Korbel, Siegfried Schwartz
תהא נשמתם צרורה בצרור החיים.
Joelle Hansel