J’ai rejoint la Marche de la Mémoire pour la première fois en 2003, à l’âge de quatre ans. Je la fait depuis, à quelques exceptions près. Non seulement les Marches m’ont permis de comprendre l’histoire de mon village et l’histoire de mon peuple, mais elles m’ont aussi donné l’occasion de rencontrer une communauté du monde entier, de nationalités et de religions différentes. J’ai rencontré des personnes que je n’aurais jamais rencontrées autrement, et elles sont devenues comme ma famille.
Jeune enfant, lors de ma première Marche, je ne comprenais pas l’histoire qui se cachait derrière. Je pensais que c’était comme n’importe quelle autre randonnée : fatigante, mais avec un bon pique-nique à la fin. Deux ans plus tard, mes parents ont essayé de me réexpliquer ce qui s’était passé pendant la guerre : Les familles juives – comme nous – ont dû fuir St Martin vers l’Italie, craignant l’arrivée des nazis. « Pourquoi l’Italie ? », ai-je demandé à ma mère. En quoi les Italiens étaient-ils différents des nazis ? C’est ainsi qu’à l’âge de six ans, quelque chose de lourd m’est venu à l’esprit.
Au col de Fenestre, j’ai essayé de trouver quelqu’un qui ressemblait à un Italien – évidemment, dans mon esprit, ils devaient être physiquement différents. Finalement, ma mère m’a amené vers un marcheur italien et m’a demandé si je pouvais toucher son bras. J’ai touché son bras. Rien. Il ressemblait à tous ceux que je connaissais, son bras était exactement comme le mien, et sa façon de parler, même si c’était de l’italien, ressemblait tellement au français que je connaissais.
J’avais pensé qu’il y avait des différences physiques entre le nazi et l’italien, entre le mal et le bien, entre lui et moi. Mais cette Marche m’a appris qu’au-delà des nationalités, des religions et des couleurs de peau, nous sommes tous humains ; au fond, nous sommes tous les mêmes. Enfant, je pensais que le Col était un mur entre la France et l’Italie, entre les nazis et la liberté. Aujourd’hui, je le vois plutôt comme un pont, qui rassemble des gens du monde entier, juifs et non-juifs, où nous pouvons nous souvenir des horreurs de la guerre et où nous essayons, ensemble, de créer un avenir meilleur.
Les trois photos ci-jointes nous montrent, ma famille et moi, avec un panneau « Shana Tova », qui signifie « Bonne année » en hébreu. La Marche tombe toujours quelques semaines avant le Nouvel An juif, et le fait de brandir cette pancarte au Col chaque année est un nouveau départ symbolique pour nous, représentant l’espoir et la douceur. La troisième photo a été prise cette année, vingt ans après ma première Marche.
Rosalie (Rosie) Bernheim
Rosie est secrétaire de l’AME43. Elle est arrivée en France à l’âge de trois ans et a grandi à Saint Martin Vésubie, où elle partiipe à la marche depuis vingt ans. Elle vit actuellement à Édimbourg, où elle prépare un doctorat sur la littérature et la culture médiévales.
Très belle histoire Rosalie